L'interview "Entreprise à impact" de Dora Blasberg, Experte inclusion et santé au travail

En situation de handicap invisible qu’elle vit depuis ses 7 ans, avec notamment une maladie chronique auto-immune rare (« syndrome de Sapho »). Ce n'est qu'autour de ses 25 ans que la vie de Dora a été bousculée suite à une prise de conscience : "Bouger, c'est bon pour la santé !" C'est la raison pour laquelle elle a souhaité participer à des prises de conscience et à oeuvrer dans le domaine de la santé, de la prévention et de l'inclusion au travail comme dans la société avec ProAdapt.

Dora, pouvez-vous vous présenter et nous raconter brièvement votre parcours avant de lancer ProAdapt ?

Pour comprendre mon parcours entrepreneurial, je vous propose de faire un petit retour en arrière avec moi sur mon enfance.

Je suis née sur la belle île de la Réunion et suis rapidement revenue vivre en Métropole.

Ma famille était aimante mais avec très (très) peu de moyens. A l’époque, j’enviais mes copines qui avaient pleins de jouets alors que nous avions, ma sœur et moi, la nature comme terrain de jeux. Ce que je ne savais pas encore à cette époque-là, c’est tout le patrimoine de valeurs que nous offraient nos parents chaque jour.

En lien avec l’entrepreneuriat et cette envie féroce d’agir, ils m’ont transmis la valeur du travail et m’ont répété l’importance des études car leur carrière était semée d’embuches du fait qu’ils n’aient pas de diplôme. Le plus grand diplôme qu’avaient mes parents, non tracé sur un document, c’est celui du cœur et de la porte ouverte aux autres. Ils m’ont inculqué des valeurs fortes et puissances comme la bienveillance, l’écoute et la prise en compte de l’autre. Savoir offrir une seconde chance aux personnes qui de par leur parcours de vie ont parfois fait des erreurs. Tendre la main pour avancer ensemble.

Par exemple, concrètement, ma mère proposait à des personnes SDF chaque hiver de venir passer les jours froids chez nous car nous avions de la place. Chaque Noël, nous mettions toujours une assiette en plus, et bien souvent, elle était prise par une connaissance ou un ami qui était seul ce soir-là.

Pendant cette enfance, j’ai aussi traversé l’une des plus grosses épreuves de ma vie : l’arrivée d’un handicap invisible. Une maladie au nom barbare : le « syndrome de SAPHO ».

Bien évidemment - et je dis cela avec le sourire maintenant -, je ne fais pas les choses à moitié : c’est une maladie rare, auto-immune, incurable et sans traitement adapté. Cette maladie m’a fait vivre des montagnes russes physiquement et moralement pendant des années, et parfois encore aujourd’hui.

Voir dans les yeux des autres leur incompréhension face à mes douleurs qui ne se voient pas. Oser parfois demander de l’aide, et parfois être trop épuisé pour le faire car on sait qu’on va devoir se justifier.

Être adolescente avec un handicap invisible, c’est évoluer dans un monde rempli d’incompréhension. Parfois oser utiliser par exemple son tiers temps pendant les examens à l’université. Avoir certains jours cette force intérieure pour « assumer » son handicap et se dire que ce handicap ne nous définit pas. Mais c’est aussi parfois baisser les bras. Ne pas avoir envie d’affronter ces regards. Tout simplement quitter la salle d’examen, sans avoir fini sa copie car on écrit plus lentement que les autres, et en sachant que j’avais encore 1h de plus due à ma reconnaissance d’étudiante handicapée. Baisser les bras par moment quitte à mettre en jeux son avenir. Choisir la facilité de ne pas vouloir rougir en voyant les autres sortir de cette salle.

Avec le recul, je trouve ce parcours rempli d’épreuves « beau ». n’est pas linéaire. Il n’est pas tout noir ou tout blanc. Je suis fière aujourd’hui de ce parcours et d’avoir créé la vie que j’ai aujourd’hui.

Quand je visite les Musées, j’aime les œuvres abstraites, colorées, avec des lignes harmonieuses, parfois qui contrastent avec les couleurs du tableau. Et finalement, je trouve que ma vie est un peu pareille : un joyeux bazar dû à ce fichu handicap invisible, à mes ennemies les douleurs chroniques. Mais ma vie c’est aussi de la lumière, de la joie, des moments précieux partagés et de nombreuses actions concrètent qui font bouger les lignes. Et ça, je ne suis pas certaine que j’en aurai eu la force sans ce caillou dans la chaussure au quotidien qu’est le handicap.

Aujourd’hui, à 33 ans ans, je suis une entrepreneure passionnée par l’impact et l’innovation. J’ai eu la chance d’avoir une carrière d’une dizaine d’années dans les Ressources Humaines avant et pendant le début de cette aventure entrepreneuriale.

Je suis une Psychologue du Travail qui a eu une carrière RH très riche avec des postes dans le handicap, la communication, la formation, le recrutement, les relations avec les syndicats et même des sujets très terre à terre comme la rémunération.

Ces années auprès des Dirigeants, des Managers et des Salariés eux-mêmes m’ont permises de comprendre les enjeux de chacun en termes d’inclusion, de diversité et de santé au travail.

Au travers de ce parcours, j’ai toujours été guidée par une question essentielle : comment allier performance, RSE et épanouissement des salariés ?

Comme le disait Steve Jobs : « You can’t connect the dots looking forward ; you can only connect them looking backward. » Aujourd’hui, en regardant en arrière, je vois que chaque expérience m’a préparée à cette aventure entrepreneuriale.

Pouvez-vous décrire ProAdapt et sa mission principale ?

En 2020, à côté de mon CDI, je me suis lancée dans le pari fou d’aider les personnes qui souffrent de leur santé (comme moi) à retrouver un état de bien-être grâce à des programmes d’activités physiques conçus 100% sur-mesure en ligne. J’ai en eu l’idée et je me suis entourée de personnes compétentes pour faire naitre la 1ère innovation digitale dans le domaine en France. Du haut de mon 1m58, j’ai été toquer aux portes pour décrocher des subventions et des partenariats pour travailler sur l’accessibilité numérique et sur une solution véritablement adaptée aux besoins de ces personnes.

En 2023, mon bébé est né la même semaine que mon bébé. Je reformule : mon bébé ProAdapt est né la même semaine que notre fils.

C’est un véritable honneur d’avoir aidé des dizaines et des dizaines de personnes à retrouver un état de bien-être grâce à nos accompagnements. Changer des vies. Accueillir des personnes épuisées et les laisser reprendre leur envol, rayonnantes, heureuses.

Le plus beau c’est de voir qu’en leur redonnant confiance dans leur corps, dans leurs capacités, leur montrer qu’elles sont capables de bouger, même un peu, tant que c’est d’une manière adaptée, finalement, elles retrouvaient de l’estime de soi. Ces personnes avaient de plus en plus confiance en elles-mêmes. Elles retrouvaient progressivement des envies, des idées de réinsertion professionnelle. Ce sont très généralement des personnes qui étaient isolées moralement et physiquement, et qui, en reprenant confiance en elles, avaient envie de se réinsérer, d’être par exemple bénévole dans des associations, retrouver un emploi ou partager leur parcours de vie.

C’était une véritable énergie au quotidien quand les douleurs chroniques montraient leur bout du nez et que je devais avancer sur ProAdapt !

Mais je ne me suis pas arrêtée là !

Je me suis demandé comment avoir plus d’impact ? Comment véritablement les aider à se réinsérer dans la société ?

En parallèle de ces réflexions personnelles que j’avais, j’ai osé saisir des opportunités : des entreprises m’ont contacté pour 1, puis 2 puis 3 … conférences, ateliers, actions de sensibilisation.

C’est ainsi que j’ai fait le pivot de mon aventure entrepreneuriale : des particuliers aux entreprises.

Réaliser des prestations pour les entreprises en Audit & Conseil, Formation, Conférences, Actions de sensibilisations ou Ateliers pour les aider à créer véritablement un climat inclusif dans leurs équipes. Agir concrètement. Par exemple mettre en place des process pour aider les salariés qui cachent leur handicap invisible depuis des années à prendre conscience que la Reconnaissance en Qualité de Travailleur Handicapé (la fameuse « RQTH) ne va pas changer leur personnalité, ne va pas leur enlever des compétences. Bien au contraire, cela leur permettra d’avoir des aménagements de postes, d’horaires, des flexibilités de rythme de travail. Faire comprendre qu’on n’est pas UN(E) HANDICAPE(E), mais une personne avec une spécificité de santé, une singularité, qui fait notre force. Leur faire comprendre que c’est cette différence qui leur donne bien souvent la « niac », qui leur a permis de développer de la résilience, de la capacité d’innovation, d’aller de l’avant pour dépasser des épreuves.

L’ensemble de mes interventions en entreprise permettent de financer en contrepartie des actions de sensibilisation et d’accompagnement de personnes vulnérables, isolées ou qui souffrent de leur santé.

Donner pour recevoir, et recevoir pour donner.

Mon leitmotiv est simple : je suis persuadée, au plus profond de moi, dans chacune de mes cellules et dans mon cœur, que c’est tous ENSEMBLE qu’on peut faire évoluer les mentalités, la société et les entreprises en matière d’inclusion et de valorisation des singularités.

Quel problème essayez-vous de résoudre avec ProAdapt et comment est né l'idée de cette entreprise à impact ?

Chez ProAdapt, nous avons une conviction profonde : un salarié en bonne santé, inclus et reconnu dans son individualité, est un salarié plus épanoui, plus performant, et plus engagé. Pourtant, encore trop d’entreprises peinent à intégrer pleinement la singularité de leurs collaborateurs. Les personnes en situation de handicap – visible ou invisible – rencontrent de nombreux freins à l’emploi. A cela s’ajoute les enjeux autour des troubles musculo-squelettiques (TMS) restent la première cause de maladie professionnelle en France (80 % des maladies professionnelles reconnues, selon l’Assurance Maladie, 2023).

L’idée de ProAdapt est née d’un double constat : d’un côté, des entreprises en quête de performance, mais souvent démunies face aux enjeux de santé et d’inclusion ; de l’autre, des salariés qui, lorsqu’ils sont accompagnés, développent une formidable capacité d’adaptation et d’innovation.

Comme le dit Maya Angelou : “Do the best you can until you know better. Then when you know better, do better.” C’est exactement notre mission : donner aux entreprises les moyens de faire mieux, grâce à des solutions concrètes.

En 2024, grâce au soutien de la French Tech Tremplin, nous avons développé API Solutions – Agir pour la Prévention et l’Inclusion, une innovation digitale pour prévenir les TMS. API Solutions est un auto-positionnement qui permet de prendre conscience des enjeux liés aux TMS, les facteurs en santé mentale et santé physique qui amènent à ces maladies professionnelles, donnant des pistes d’actions concrètes pour permettre à la fois la poursuite de la performance au travail, tout en respectant la santé des salariés.

Chez ProAdapt, nous œuvrons pour que santé et performance aillent de pair.

Une entreprise inclusive et attentive au bien-être de ses salariés est 30 % plus performante que les autres (Étude Deloitte, 2022).

Notre mission est donc claire : transformer les contraintes en opportunités, pour des entreprises plus humaines et des collaborateurs plus sereins.

Avez-vous rencontré un problème spécifique ou vécu une expérience personnelle qui vous a inspiré ce projet ?

Je vais vous parler d’une expérience qui m’a profondément marquée en tant que Femme, Entrepreneure, en situation de handicap invisible, à mon lancement :

Dans une entreprise, un Directeur refusait de croire qu’un salarié en situation de handicap peut être performant. Affronter cette réticence n’a pas été facile… Devoir se justifier. Devoir démontrer par A + B qu’on a des compétences, oui, en tant que Femme et « Handicapée », qu’on est certaine que nos actions peuvent véritablement avoir de l’impact sur la performance de l’entreprise. Dans un monde où de nombreuses femmes ressentent le fameux syndrome de l’imposteur, les réponses de ce Dirigeant m’ont poussées à devoir davantage me montrer capable et m’ont à un moment fait douter de moi-même…

Avec ce combat, j’ai d’autant plus compris ce que ressentent beaucoup de personnes dans cette situation.

Grâce à l’aide d’un allié dans l’équipe RH, nous avons organisé une conférence sur le handicap invisible. J’ai ensuite pris le temps de faire du « service après-vente » pour écouter et soutenir les salariés qui cachaient leur handicap invisible depuis des années. A la suite de cette intervention, des dizaines de collaborateurs ont fait reconnaître leur handicap, révélant qu’ils le cachaient depuis des années par peur du regard des autres et de la Direction.

Le plus grand défi fut de surmonter la résistance du Directeur, qui pensait que cela affecterait la performance de ses équipes. Mais en restant déterminée et en apportant des preuves concrètes, j’ai vu les mentalités changer. Cela m’a renforcée dans l’idée que l’inclusion passe par un véritable changement culturel, où chaque individu est reconnu pour ses compétences, au-delà de son handicap.

Quelles sont les valeurs qui guident votre travail au quotidien ?

L’audace, l’éthique, la résilience, la bienveillance, et la conviction que c’est ensemble que nous pouvons construire une société plus inclusive.

L’audace, d’abord, de croire en un monde meilleur, d’oser défier les normes établies et de plaider pour des changements profonds. C’est grâce à cette audace que je mets en lumière des sujets encore trop ignorés, comme le handicap invisible, et que je travaille à faire évoluer les mentalités en entreprise.

L’éthique, car je suis convaincue que chaque action, chaque décision doit être portée par un sens profond. Pour moi, il est essentiel d’agir de manière cohérente avec mes valeurs, pour que les actions menées aient un impact véritablement positif et durable sur ceux que je soutiens.

La résilience, car chaque parcours comporte ses épreuves. Vivre avec un handicap invisible, mais aussi être une entrepreneure dans un environnement exigeant, m’a appris à avancer malgré les obstacles. Je crois que c’est en surmontant les difficultés et en apprenant de chaque expérience que l’on grandit. Et c’est cette résilience que j’essaie d’inculquer à ceux que j’accompagne, en leur montrant que chaque difficulté peut se transformer en une occasion de se réinventer.

La bienveillance, enfin, car chaque personne mérite d’être écoutée, respectée et soutenue dans sa singularité. Je crois profondément dans le pouvoir des différences et des singularités, qu’elles soient physiques, mentales ou culturelles.

Chacun a quelque chose d’unique à apporter, et c’est dans cette diversité que réside la richesse de notre société.

Et au cœur de tout cela, ma conviction la plus profonde : c’est ensemble, avec ces valeurs, que nous pouvons bâtir une société plus inclusive.

Le mot « impact » revient de plus en plus dans la société. Effet de mode ou vraie révolution ?

Je ne suis pas suisse mais je vais prendre cette position et poser une question à vous lecteur : un effet de mode peut-il enclencher une révolution ?

Pour ma part, j’en suis persuadée ! Pour autant, il faut se saisir de cet effet de mode avec le cœur et avec des valeurs profondes, sinon cela reste du bullshit qui sonne creux et qui n’aura pas d’impact véritable, sur le présent ou sur l’avenir.

Que conseilleriez-vous à quelqu’un qui souhaite lancer une initiative à impact ?

Foncez !

Soyez prêts à l’endurance.

Osez parler de votre projet.

Osez-vous faire accompagner par des structures spécialisées.

Osez aller à la rencontre de vos futurs clients, de vos personnas, des possibles « concurrents ».

N’écoutez pas les faux conseils ou les « tu ne devrais pas », « tu n’as pas les compétences »… Ecoutez votre petite voix intérieure qui vous dit de foncer !

« The best way to predict the future is to create it. »

Construire un monde meilleur prend du temps, mais chaque pas compte.

Quels sont vos projets ou ambitions pour les prochaines années ?

Seul on avance, ensemble on va plus loin !

Une coach est justement en train de m’accompagner pour définir précisément mes prochains objectifs.

Je pense que vous aurez compris leur axe principal : la bienveillance, mettre au centre l’humain et sa singularité, avoir des projets éthiques et sociétaux, en France et à l’international.

Je vous invite à me suivre sur les réseaux sociaux LinkedIn ou Instagram pour en savoir plus prochainement !

Un film /reportage / citation / livre / rencontre qui a marqué ton parcours d’entrepreneure engagée ?

Alors que je traversais un burnout très important il y a quelques années, j’ai été en déplacement dans un hôtel. Dans leur bibliothèque « libre-service », il y avait un livre « The power of positive thinking ». Le lire m’a fait beaucoup de bien et m’a inspiré dans le pouvoir des pensées positives.

Avec celui du « Pouvoir illimité - Changez de vie avec la PNL » d’Anthony Robbins, ils ont véritablement changé ma vie et ma manière d’oser créer et saisir des opportunités pour agir pour ces enjeux sociétaux qui me passionnent.